Les deux familles

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Tout enfant a un père et une mère issus de deux familles différentes. Et pour l’enfant, c’est parfois difficile de faire la part de ce qui est bien chez l’une, de ce qui est bien chez l’autre.

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Je suis issu de deux familles l’une de famille G. par mon père, l’autre de famille V. par ma mère ! Les premiers, gentilshommes campagnards, les seconds, petits bourgeois malmenés par la vie.

Chez Girody, un sou valait un sou. Et les malheurs de la guerre leur avaient appris à prévoir pour des jours qui pouvaient être durs. Des tas de boîtes de conserves s’amoncelaient en haut des escaliers allant à la cave. Dans le garage ma grand-mère faisait toujours : pâtés, confits, cous d’oies farcies et bocaux des légumes qu’elle cultivait.

En 1966 mes grands-parents V. se sont installés, à Gardonne dans une maison jouxtant celle des cousins Bousquet. Mon grand père devenu électricien avait une pièce de la maison où il installait son matériel, tout son bazar aux yeux de certains! Trois marches nous permettaient d’aller dans le jardin du haut desquelles je pouvais faire « mon jet puissant » comme disait ma grand mère.

La cuisine faisait face à la chambre de mes grands parents. J’ai dormi dans leur grand lit où l’on m’a raconté beaucoup d’histoires  « Cahin caha sur la grande route ».

A côté de la chambre un escalier permettait d’accéder à la chambre de la tante Cécile, troisième fille de mes grands parents qui tapissait sa chambre de posters de stars de la Pop.

A la même époque, à l’autre bout du village, chez Girody, on construisait sa maison. Il y aurait trois chambres: celle de mes grand-parents G. et celles de chacun des deux fils. Ma mère choisit à l’époque la chambre grise qui donnait au nord car elle ne voulait pas risquer de voir le voisin F. qui habitait en face de la chambre verte. Mais, les années passant, la haie poussant, on ne vit plus l’affreux voisin F. Et ma mère s’en mordit les doigts car la chambre verte était plus agréable.

En 1970, mes parents revenus à Bordeaux, nous allions chaque week-end retrouver la famille en Dordogne, dans le bergeracois. Nous partions, le samedi après le repas de midi, mon père, ma mère, ma sœur, la jeune fille qui nous gardait et moi. A cette époque, nous avions école le samedi matin !.

Arrivés à Gardonne, nous allions directement chez la famille V. boire le thé. Ma grand-mère nous entretenait toujours des histoires d’affreux collabos du pays, il faut dire qu’elle en avait une mauvaise expérience! Pour changer de registre elle nous parlait des derniers élus de la région.

Le soir nous mangions chez la famille G. avec le frère de mon père, sa femme et mes deux cousins. Là, la conversation était plus prosaïque. Mon oncle parlait de la situation des  « Nouvelles Galleries » qui périclitaient. Heureusement il y avait la cuisine de ma grand-mère G. : les frites à la graisse d’oie, les cous d’oies farcis, les canards rôtis, les faisans chassés par mon grand-père…

Les-grands-parents-c-est-importantDans la maison Veyral, l’oncle Michel, mari de la sœur cadette de ma mère nous abreuvait de ses facéties. Il m’emmenait voir le château d’eau et devant l’édifice il fallait que je dise :  « Oh qu’il est gros le salaud ». C’était un être un peu fantasque, prof de dessin, artiste peintre, drôle, cultivé mais sans doute difficile à vivre. D’ailleurs ma tante a divorcé. Michel était aussi l’oncle de Christine et Catherine, les filles de la famille L. avec lesquelles nous jouions. Il nous terrorisait Christine et moi et nous nous réfugions sous la table quand il faisait le loup. Avec sa carabine, il tirait sur la porte des WC où était dessinée une cible. Michel tuait aussi les rats qui infestaient le fossé devant chez ma grand-mère.

En effet, pour rentrer dans la maison Veyral, il fallait passer un petit chemin bordé de part et d’autre d’un fossé rempli de rats. Un jour,la tante Sylvette, arrivant pour sa visite dominicale, au volant de sa 4l blanche tomba dans le fossé. Toute la famille était en émoi. Les cousins B. sortirent de chez eux. Les pompiers arrivèrent.

La tante Sylvette n’avait rien. Elle qui avait déjà la polio, accumulait les ennuis. La tante Sylvette était quelqu’un d’important dans la famille, sœur de ma grand-mère elle parlait tout le temps. Mon arrière grand-mère réprimandait sa fille quand nous chantions « La tante Sylvette, la bonne tisane pour le foie », parodie d’une pub de l’époque.

Une année, à la fin de l’été les cousins B. ont organisé un repas avec mes parents, mes grands-parents V., ma tante Cécile, ma tante Jeannie et son mari, l’oncle Michel, les fils, les grands-parents. Ce fut une soirée épique pendant laquelle l’oncle Michel s’est battu à coups de lancé de crème au chocolat avec le cousin Doudou B. Pour couronner le tout je suis rentré dans la salle à 6 ou 7 ans en criant « Salut les connards »ce qui a fait rire tout le monde. La tante R. n’en est pas revenue.

Ma grand-mère G. organisait régulièrement des repas auxquels étaient conviés une foule de personnes: ses deux fils, leurs épouses, leurs enfants, les frères de mon grand-père et leurs épouses et, la fameuse tante Luce, veuve du frère aîné de mon grand-père. Elle était toujours placée en bout de table à côté des enfants, car pharmacienne à la retraite elle dépareillait des amis de ma grand-mère.

Elle était bonne à chanter,  « Le temps des cerises » à la fin des repas. Elle était le pendant de la tante Sylvette chez la famille G.

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Enfant, dans la famille G., je me baignais dans un baquet acheté chez Prisunic, alors que chez les V., je me baignais dans un tub tout nu. Un jour j’eus l’audace de vouloir me baigner nu chez G. Bien mal m’en a pris! Ma grand-mère Alice me réprimanda :  « Je ne veux pas te voir comme ça dans le jardin ». Moi qui avais l’habitude de me trimbaler chez les V. dans la tenue d’Adam ce n’était tout d’un coup plus possible. Je n’y comprenais plus rien! Il fallait s’y habituer! Chez les V., ma cousine Claire lessivait l’armoire au Mir et ma grand-mère Pierrette ne disait rien.  « Les pauvres, il faut bien qu’ils s’amusent » disait-elle d’un air amusé. Chez les G., ma grand-mère Alice qui s’indignait de ces pratiques, nous permettait bien des choses.

Ma grand-mère V. a joué un grand rôle dans ma réintégration à la vie, tout comme ma grand-mère G. qui pouvait assurer mon éducation, lorsque ma mère, étudiante, s’absentait. Mon père en était reconnaissant.

Ma grand-mère V. dite Mamette m’a fait visiter toute la Dordogne : tous les châteaux, les grottes, les églises, les bastides. En même temps, on m’a raconté les légendes du Périgord, les grands faits historiques de la région. Chez les G., ce n’était pas pareil. Quand on allait à Artez d’Asson, on faisait de grandes balades dans la montagne. Il fallait aller à la messe avec les cousins R., alors que chez les V. on bouffait du curé. Là, encore quelle attitude adopter?

Chez les G., le dimanche le Papi, Albert allait à la chasse avec ses fils, son beau frère, l’oncle R. Il rapportait parfois un faisan, des grives ou des perdreaux. Chez les V., le Pépé allait à la pêche dans la Dordogne. Il ramenait des anguilles aussi grandes que moi debout, qui vous mordaient encore après qu’on leur ait coupé la tête.
Chez les G. on jouait au Tiercé tous les dimanches alors que chez les V. le pépé jouait toujours aux cartes. Albert buvait toujours son pastis. Jeannot buvait toujours sa bière.

Ma grand-mère Alice tricotait avec des aiguilles et lisait « Mode de Paris », ma grand-mère Pierrette tricotait au crochet et lisait « Modes et Travaux ». Alice cuisinait à la graisse d’oie, Pierrette cuisinait les poissons de la Dordogne.

J’aimais les deux familles mais elles n’avaient pas tout à fait la même façon de voir les choses.

« C’est sans doute dur pour deux familles de se fondre en une seule! »

Olivier G.

2 Responses to "Les deux familles"

  1. alicia Posté le avril 24, 2016 à 22:24

    Une petite merveille cet article! je me suis régalée à le lire. Je suis très contente de le voir, de le lire sur le blog. Félicitations Olivier.
    Alicia.

  2. Nicole Posté le juin 27, 2016 à 09:24

    Très impressionnée par cet émouvant récit !
    Nicole (IDE)

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