Mes souvenirs militaires

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   Quand j’avais 16 ans, j’étais un petit con complètement immature qui en avait marre de l’autorité parentale et qui voulait la fuir. Mais, n’ayant pas l’âge légal pour voler de mes propres ailes, j’étais obligé de rester chez papa et maman. Pourtant il me restait une solution : faire une carrière militaire, ce que je choisis avec l’assentiment de mes parents. Je vous ai dit plus haut que j’étais jeune et con, la suite va vous prouver que j’avais raison. Après avoir fait « mes 3 jours » à Limoges pour passer des tests psychologiques réglementaires et, sans me donner aucune réponse, on m’a dit que je pouvais rentrer chez moi. On ne dit pas pour rien que l’armée est la grande muette!

   Quand je suis revenu chez mes parents, ils m’ont dit « et alors comment se sont passés tes tests? » « Bien dans l’ensemble », dis-je. Mais, quand je suis passé devant l’officier d’orientation celui-ci m’a simplement dit que je recevrai un courrier ultérieurement, point barre !

   Les jours passant, n’ayant toujours aucune réponse et n’aimant pas rester sans rien faire, je pris une décision : celle d’aller voir mon oncle Jeannot qui travaillait dans une petite société de maçonnerie pour voir s’il n’y avait pas une place pour moi.  Il me répondit « oui » mais ajouta qu’il ne fallait pas que je me fasse d’illusion : « neveu ou pas neveu, je serai traité comme les autres ». J’approuvais et lui parlais salaire. Il me sourit et me dit « Tu es jeune et assez costaud tu auras 3600 francs par mois ». Cela fit mon affaire et nous scellâmes notre accord par une bonne poignée de main. Puis, nous bûmes l’apéro… J’y travaillais pendant un certain temps ce qui me permit de donner de l’argent à mes parents et de me mettre un petit pécule de côté pour mon futur départ. Enfin, au bout de plusieurs mois, je reçus un courrier me demandant de me rendre à la caserne de la Bastide dans la banlieue bordelaise. Quand je suis arrivé sur place, il y avait beaucoup de jeunes garçons de mon âge. Après un grand moment d’attente on nous appela chacun notre tour. Quand vint mon tour, un capitaine me reçut cordialement dans son bureau. Il me fit asseoir et me dit que de toute sa carrière militaire c’était la première fois qu’il voyait des tests aussi bien réussis : « Voilà tu as deux choix qui s’offrent à toi, soit tu fais ton engagement dans les parachutistes soit dans les commandos de marine ». Mes amis, en choisissant la deuxième solution, je ne me doutais pas où je mettais les pieds!  Vous le verrez au fur et à mesure et là vous pourrez dire : « le pauvre garçon il était fou, complètement inconscient ou bien les deux! » Bien sûr, je ne me doutais pas que j’allais en baver si dur et comme on dit « pleurer des larmes de sang ». On me dirigea vers un autre bureau où je reçus mon ordre de mission, de l’argent de poche (50 francs à l’époque).

   En rentrant chez mes parents, je leur dis que je n’allais pas tarder à les quitter. Mon départ pour l’armée devenait imminent. En effet, il fallait que je sois au camp de Sissonne le 2 Novembre 1977. Avec mes parents nous fîmes le tour de toute la famille pour que je puisse leur dire « Au revoir ». Chacun d’eux me donna un peu d’argent, la somme totale s’élevant à l’époque à 1800 francs.

   Je passais les quelques jours qui me restaient à préparer mon sac pour mon grand départ. Le jour J approcha à grands pas. Je devais me rendre à la gare Saint-Jean à Bordeaux le 31 Octobre. Mes parents, ma grande sœur, mon grand frère et la petite dernière furent du voyage pour me dire au revoir. Nous arrivâmes en avance. Mon père nous proposa d’aller boire quelque chose et bien sûr il paya nos verres. Après nous allâmes tous ensemble sur le quai où le train était là. Les adieux furent émouvants et nous versâmes tous notre petite larme.

   Une fois à bord du train, je me mis à la recherche d’une place. Comme à l’époque c’était un train corail, celui-ci se composait de grands compartiments avec des sièges de chaque coté. Dès que je fus installé, je choisis un bon polar dans mon sac et le rangeai dans le porte-bagages au-dessus de moi. Au bout d’un moment, commençant à avoir faim et soif, je me mis à la recherche du wagon restaurant. Malgré les années qui sont passées, je me souviens encore de ce que j’ai pris ce jour là : un whisky 15 ans d’âge en apéro avec quelques amuse-gueules, des canapés au foie gras, des petits gâteaux salés et quelques cacahuètes. Après cela, je suis passé aux choses sérieuses : un tournedos Rossini avec sur le dessus une tranche de foie gras, légèrement poêlée, avec comme accompagnement un petit panier de frites bien croustillantes et une salade frisée avec ses petits lardons et quelques croûtons aillés. Comme boisson pour accompagner ce plat, un bon Pouilly Fumé. Après cela, une assiette de fromages avec comme vin un jeune Bourgogne. J’ai terminé mon repas par un café et pris en digestif un Armagnac. Quand le garçon m’apporta l’addition, il y en avait pour 430 francs. Je quittai le resto, j’allai dans le couloir et j’ouvris une fenêtre pour m’allumer un bon cigare. Le voyage Bordeaux – Paris – Austerlitz dura 7 heures car mon train devait s’arrêter à différentes gares.

   Quand le train entra enfin en gare de Paris – Austerlitz et s’arrêta complètement, un agent de la SNCF vint ouvrir les portières. Je descendis du train, mis les pieds sur le quai et regardai les panneaux qui indiquaient la sortie. Je me dirigeai vers la station de taxi. Je dis au chauffeur que je voulais aller à la gare du Nord. « Pas de problème », me dit-il. Quelle belle connerie j’ai faite ce jour là en montant dans son véhicule! Celui-ci, en entendant mon accent, vit que je n’étais pas du coin et me fit visiter Paris. Arrivé enfin à bon port, cela me coûta la bagatelle de 80 francs. Une belle petite somme, surtout quand j’appris que les gares se trouvaient pas loin l’une de l’autre et qu’à pied je n’aurais mis que 10 minutes. A la gare du Nord, je me renseignai auprès d’un agent qui me dit : « Vous devez prendre un train jusqu’à la gare de Saint-Erme et là des camions de l’armée vous attendront ». Il m’indiqua le numéro du quai et je m’y rendis. Et là, je vis un train vétuste : “Le train avait dû connaître des jours meilleurs mais dans une autre vie !” Une fois dedans, je cherchai un compartiment pour pouvoir poser mon sac et mes fesses. J’ouvris une première porte, à l’intérieur il y avait toute une bande de garçons de mon âge. Je leur dis bonjour et leur demandai s’il y avait une place pour moi. « Pas de problème », me dit l’un des garçons, « Surtout si tu as de la bière! ». « Pas de problème les mecs, j’ai un pack de 24 avec moi ». « Alors tu es le bienvenu ».

   Nous bûmes un coup tout en discutant. J’appris qu’il y avait 3 Bordelais, un mec de Bruges et un Bouscatais, comme moi. Nous parlâmes de nos expériences professionnelles et de nos familles. Nous ne vîmes pas le temps passer et nous arrivâmes très vite à destination. Quand nous descendîmes sur le quai, plusieurs militaires en tenue nous attendaient. Ils nous embarquèrent dans des camions. Pour notre grand malheur, il n’y avait pas de banquette et nous fûmes obligés de poser nos fesses à même le plancher. Depuis la gare jusqu’au camp de Sissonne, notre destination finale, le trajet dura 55 minutes. Puis, le chauffeur et son chef de bord décidèrent de nous faire passer par les pistes de char pour nous donner un avant goût de ce qui allait nous attendre pendant notre période d’engagement.

   Quand nous fûmes arrivés à destination et que nous descendîmes des camions, je peux vous affirmer que nous avions tous le bas du dos et les fesses en compote. On nous rassembla tous ensemble et là je vis des garçons avec de « drôles de dégaines ». Moi, à côté d’eux, je faisais représentant avec ma coupe de cheveux mi-longs, mon pantalon de costard et mon superbe blouson. Un gradé, caporal chef, nous amena chez le coiffeur. Nous y passâmes chacun à notre tour. On nous mit la boule à zéro. Et là, à mon grand étonnement, je vis des grands gaillards pleurer leurs longs et beaux cheveux qui tombaient à terre sous les coups de tondeuses des experts. Ensuite, on nous dirigea chez le fourrier pour recevoir notre paquetage. En premier, on nous donna un grand sac à dos de couleur vert kaki. Pendant tout notre séjour, cela a été la couleur que nous portions. On nous distribua trois vestes de treillis, des chemises f1, des pantalons, 2 paires de Rangers ainsi qu’un ensemble de survêtement bleu ciel et sa paire de tennis… Puis, ils nous donnèrent un grand sac à dos où je commençai à y ranger mes affaires. Pour finir, on nous donna 4 paires de chaussettes d’hiver, 3 paires de chaussettes fines pour aller avec une paire de chaussures basses de couleur noire, 3 pantalons de tenue de sortie d’été, de couleur beige et leurs chemises assorties. A l’écrire cela va assez vite, mais à le vivre le temps est hyper long. Cela me permit de lier connaissance avec un « Parigot ». Malgré toutes ces années écoulées, je me souviens encore comment il se nommait : Patrice B. Celui-ci devint mon meilleur copain. On nous laissa tranquille durant une semaine. Le temps que nous prenions nos marques. Passé ce délai, on nous ordonna pour le rapport de 6h00 du matin, d’être en survêtement et tennis. Dès le lendemain, on nous fît courir une petite vingtaine de kilomètres pour nous mettre en jambes. Puis, on nous fît remonter dans nos chambres pour mettre nos treillis modèle 36 de couleur jaune pisseux. La veille on avait préparé nos sacs à dos, sous la houlette d’un gradé. Ils pesaient pas moins de 45 kilos! On mit notre brelage avec deux chargeurs pleins d’une dizaine de balles à blanc. Sur le côté gauche, on accrocha notre gourde remplie de 5 litres d’eau, et à droite, la pelle et le masque à gaz. Puis nous prîmes nos sac à dos avant de nous rendre dans la cour où nous y vîmes de superbes camions. « Ne rêvez pas les mecs », nous dit un caporal chef, « Ils ne sont pas pour vous, c’est en petites foulées que vous irez jusqu’au parcours du combattant ». Nous fîmes 15 kilomètres pour nous y rendre. Arrivés sur les lieux, pas le temps de souffler ni de fumer une clope.

   Nous franchîmes différents obstacles dont je vais en énumérer quelques uns : la poutre, l’échelle de corde, les barres parallèles, les plots et bien d’autres… Et pour le retour, 15 kilomètres, toujours en courant! Arrivés devant notre compagnie, nous réintégrâmes nos chambres et on tira au sort pour savoir qui allait garder nos armes et nos sacs à dos pendant que les autres allaient prendre une bonne douche bien méritée. Le sort me désigna! Ainsi, pendant que mes potes firent leurs ablutions sous la douche, je gardai tout le barda. Puis, un camarade vint me remplacer et ce fut à mon tour d’aller me décrasser. Je suis resté sous la douche au bas mot quarante cinq minutes. Je ressortis de là tout ragaillardi comme si je venais de renaître une seconde fois.

   Quand je revins dans ma chambre, je pris mon fusil semi-automatique et le démontai entièrement pour pouvoir le nettoyer et enlever toute trace de poudre. Ceci n’est pas particulièrement facile, croyez-moi! Quand cette corvée fut terminée, moi et mon pote Patrice fîmes une collecte générale. Nous récoltâmes 150 francs, cela nous permit d’aller au foyer du camps et d’acheter 5 packs de 24 bières, quelques paquets de cigarettes et de quoi manger. Étant désigné comme chef de chambrée, cela me donna le droit d’assurer la distribution. Après cette petite pause, nous attendîmes le gradé qui était chargé de l’inspection. Nous étions tous à coté de notre arme. « Bien les mecs pour moi tout est ok », dit -il. « Réintégration du matos à l’armurerie et après « campo » ». Cela signifiait, « faites ce que vous voulez, moi je ne veux plus voir vos sales tronches avant demain ». Nous le remerciâmes chaleureusement.

   Après cette aventure, j’ai fait ce que l’on appelle dans le jargon militaire les classes. Cela consiste pendant 6 mois à marcher au pas, à manier les armes : le pistolet automatique (PA), le fusil semi-automatique (FSA). Pour notre grand malheur, cette aventure dura effectivement 6 mois! Après cela, on nous fit passer devant différents gradés et chacun d’eux avait une spécialité : savoir lire une carte, se servir d’une boussole, etc… Un jour, un gradé, un sacré vicelard, me regarda droit dans les yeux et me dit « Toi mon gaillard tu m’as l’air moins con que tes petits copains, retourne toi s’il te plaît ». Je m’exécutai et quand il me dit de reprendre ma place initiale, je vis que le salopard avait démonté toutes les armes. Il avait fait, ce qu’on appelle dans le jargon de l’armée, une salade. Il ajouta : « Tu as exactement 30 minutes pour tout remonter et te mettre au garde à vous dos aux armes. » Après avoir fini les tâches auxquelles il m’avait assignées, je me levai et comme il me l’avait demandé, je me mis debout face à lui et j’attendis. Ce sadique prit son temps avec chaque arme pour les examiner de très près. Puis, sans aucune félicitation, il me fit réintégrer les armes à l’armurerie. Pendant ces six mois de classe, le lever était à 3 heures, 4 heures ou 5 heures du mat selon l’envie du gradé qui s’occupait de nous. On avait entre10 à 15 minutes pour prendre notre petit déjeuner (Autant pour aller à la douche puis se vêtir et attendre au pied du lit au garde à vous). Ce petit manège dura pendant 6 mois. À la fin, nous fîmes un parcours banalisé. À certains endroits on nous fit faire des exercices qui furent notés. Ensuite, on nous appela un par un pour nous féliciter. Je reçus mon premier galon de première classe. Cette remise de médaille est une distinction qui perdure depuis l’époque de Napoléon-Bonaparte. Les mois passant, notre vie fut rythmée par le lever à 5 heures du mat, petit déj., douche puis différents exercices. Quelques temps plus tard, j’accélérai le mouvement pour passer le grade de caporal puis celui de caporal chef. Je me retrouvai rapidement avec le grade de cabot chef et enfin sergent. Entre mes différents grades, je partis au Tchad comme casque bleu pour aider les populations à reconstruire ce qui avait été détruit pendant leur conflit. Puis, 5 mois après, je rentrai en France avec une permission de 3 mois. Celle-ci passa « comme un pet dans le vent ». Ma vie militaire reprit son cours doucement comme coule une rivière. Des cons de haut gradés prirent la décision de nous envoyer au Liban.

   Si vous lisez mon texte, j’espère que vous comprendrez mon aventure militaire. Moi, je partais là-bas comme soldat armé avec des balles à blanc et non de vraies balles, celles qui tuent pour de bon. Ce n’était pas comme au cinéma où tout le monde se relève et va vider quelques bonnes bouteilles. Cela faisait 4 mois qu’on y était quand moi et mon groupe nous partîmes en reconnaissance. Je les fis stopper pour prendre position et surprendre l’ennemi. Je me mis à plat ventre pour regarder dans la lunette de mon fusil de tireur d’élite. Je vis juste en face un gus qui faisait pareil que moi… Je ne sais pas pourquoi mon doigt fut le plus rapide. Est-ce le destin ou la main de DIEU? Je lui fis exploser le crâne. Tout s’est passé très vite. Depuis ce jour, je devins incontrôlable. Je partais tout seul et quand je réapparaissais, j’avais un léger sourire sardonique aux lèvres et les mains pleines de sang. On me rapatria sanitaire. Je fus dégradé devant tout mon régiment, ma tenue fut lacérée au cutter puis on me ramena à ma compagnie. Ma tenue se résuma au port du survêt et des tennis jusqu’à mon départ définitif de l’armée. J’avais 22 ans. Après ce que j’avais vécu, ma vie dans la peau d’un civil fut assez longue et douloureuse mais j’y arrivai. Aujourd’hui, j’ai plus de 50 ans et ce que j’ai vu et surtout fait au LIBAN viennent hanter mes nuits. Si jamais un jour, vous lisez ces lignes, ne me lapidez pas…

Jean-Luc B.

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